J’adore la France et un séjour là-bas est toujours synonyme d’expériences riches à plusieurs égards, tant sur le plan personnel que professionnel. Ayant participé et intervenu lors des Rencontres Institutionnelles du e-tourisme qui avaient lieu à Pau, en Aquitaine, les 25-26 septembre derniers, j’ai été à même de constater la forte gronde qui monte dans l’Hexagone via-à-vis des agences de voyages en ligne (OTA – ou online travel agencies), plus précisément celle qui semble le Diable incarné en bleu, Booking.com.
Il faut comprendre que Booking tient un rôle dominant en Europe, et plus précisément en France, alors qu’au Québec et en Amérique du Nord, c’est Expedia le gros joueur, avec ses filiales performantes comme Hotels.com ou Hotwire.
LE MOUVEMENT FAIRBOOKING
On sait que les OTA ont pris au cours de la dernière décennie une position névralgique dans la distribution hôtelière en ligne et que cette domination commence à devenir intenable pour certains. Je vous en parlais d’ailleurs dans ce billet, Distribution hôtelière et OTA : enjeux et solutions.
À un point tel qu’en France, certains hôteliers de la région de Nantes ont initié le mouvement Fairbooking au printemps dernier, visant à inciter les consommateurs à réserver en direct pour en tirer certains avantages. Plus qu’une simple plateforme transactionnelle, le mouvement Fairbooking veut sensibiliser la clientèle française (le site n’est présentement disponible que dans cette langue) aux avantages de transiger directement avec l’hôtelier, plutôt que de passer par Booking, Expedia, Tripadvisor ou les autres plateformes populaires.
À ce jour, il y aurait déjà plus de 1,000 hôteliers qui font partie de ce regroupement, et il sera intéressant de voir si l’effet d’entrainement aura un impact durable dans le temps, et si le mouvement saura rapidement traverser les frontières européennes voire même de notre côté de l’Amérique.
Une chose est sûre: plusieurs grands médias traditionnels en ont parlé au cours des dernières semaines, et le message semble passer lentement mais sûrement auprès du grand public. Mais est-ce que ce sera assez? Ou s’agit-il de “trop peu, trop tard?”
LA PARITÉ TARIFAIRE, UN FAUX ENJEU
Tout d’abord, une nouvelle dont on a fait peu écho au Québec, est le jugement qui fut rendu en septembre en France, rendant la clause de parité tarifaire non légale, ou plutôt contraire aux règles de compétitivité du marché. Des jugements similaires sont d’ailleurs attendus en Allemagne et au Royaume-Uni, où les autorités ont également été saisies de ce dossier.
Certains crient déjà victoire, car la parité tarifaire est certainement un des plus grands enjeux identifiés dans cette guerre aux OTA. Et pourtant… Laissez-moi vous conter un anecdote. Lors de mon départ de Pau la semaine dernière, mon compatriote Alain est passé à la réception pour demander une extension d’une nuit.
La réceptionniste lui dit alors: “Le meilleur tarif que je peux vous faire est de 80 euros”. Pourtant, on pouvait trouver la nuitée à 76 euros sur Booking et d’autres sites en ligne. Lorsqu’on lui fit mention, elle répondit, toute penaude: “Oui, mais vous savez, nous avons des ententes commerciales à respecter, et je ne peux vous proposer ce tarif, malheureusement”.
Alain n’a pas fait de cas de la situation (il travaille également dans le tourisme), mais un client ordinaire aurait fait quelques pas à l’extérieur du lobby, réservé en ligne au tarif de 76 euros, ce qui aurait donné en fait 64.60 euros à l’hôtelier une fois la commission de 15% payée à Booking. Ridicule!
À qui appartient le client
Cette anecdote réflète tout ce qui cloche dans cette industrie et pourquoi Fairbooking est voué à l’échec à moyen terme, à moins que la culture change drastiquement à court terme. Car voyez-vous, cette anecdote est symptômatique du fait que les hôteliers font trop peu dans leur marketing relationnel.
Un client qui est dans votre lobby, c’est votre client. Pas celui de Booking! Alors si on ne parvient même pas à retenir ou fidéliser la clientèle actuelle, imaginez le boulot pour faire changer les habitudes du consommateur et l’acquérir en direct…
LES VRAIS ENJEUX POUR LES HÔTELIERS
Mais alors, si la parité tarifaire n’est pas le plus gros enjeu, sur quoi devraient se concentrer les hôteliers? Voici selon moi les trois vecteurs qui risquent de frapper de plein fouet l’industrie, particulièrement les indépendants qui n’ont pas les reins aussi solides que les chaînes avec leur force de vente internationale et un branding aussi fort.
1. Le virage mobile
Le 24 septembre dernier, Expedia tenait un séminaire auprès de spécialistes de l’industrie touristique, réitérant l’importance de prendre le virage mobile. Les ventes de voyages en ligne représentaient US$2.6 milliards en 2011, puis US$8 milliards en 2012. En 2013, on estime qu’il se vendra pour plus de $US26 milliards, soit une augmentation de 225%!
Sans surprise, on voit les Expedia, Priceline et autre Travelocity proposer des deuxième, voire troisième génération d’applications mobiles pour smartphones, des variations spécifiques pour tablettes numériques et une véritable approche stratégique pour aller capter ce potentiel énorme. Que se fait-il du côté hôtelier?
Hormis les grandes chaînes comme Starwood, Hilton, IHG, Marriott ou Accor, c’est plutôt discret du côté des indépendants, quand ce n’est une absence de stratégie pure et simple à ce niveau. Le site de Fairbooking n’est d’ailleurs pas optimisé pour lecture sur appareil mobile.
2. L’économie collaborative
On parle beaucoup des AirBnB, HomeAway, CouchSurfing et autres HouseTrip de ce monde comme étant un danger potentiel et déjà présent sur plusieurs marchés, mais que font les hôteliers concrètement pour parer à cette réalité inexorable?
Un hôtelier montréalais me disait récemment qu’il avait un taux d’occupation moyen de 95% à longueur d’année ou presque, et je lui ai demandé s’il avait un secret en particulier. “J’offre des chambres qui répondent aux besoins des clients”, me répondit-il. D’une simplicité désarmante, mais ça veut dire quoi, concrètement ?
- Chambres fraîchement rénovées et spacieuses
- Espace cuisine, ou kitchenette, avec frigo pour stocker le nécessaire petit-déjeuner
- Appels locaux illimités, gratuits
- Accès wifi gratuit
- Proximité du Quartier des spectacles, au centre de l’action
Hormis le dernier point, qui ne peut être donné à tous et chacun, qu’est-ce qui empêche un hôtel de proposer les autres points sur cette liste? Le consommateur d’aujourd’hui veut-il encore payer un petit-déjeuner à 25$, une bière du mini-bar à 10$ ou faire un appel local à 3$?
Un produit qui doit s’adapter
En d’autres mots, la meilleure manière de répondre au danger imminent des chambres illégales demeure encore d’adapter son produit afin d’offrir un service à valeur ajoutée auprès d’une clientèle réceptive.
Certes, la représentation doit continuer auprès des instances gouvernementales et des solutions doivent être trouvées pour réglementer cette nouvelle économie, mais le produit hôtelier doit continuer d’évoluer en parallèle.
3. Les partenariats entre OTA et DMO
Le dernier point et non le moindre, c’est que les OTA sont loin d’avoir dit leur dernier mot. On voit un mouvement de fusion et d’acquisitions, notamment l’achat de Kayak par Priceline à la fin 2012, ou l’acquisition de Trivago par le groupe Expedia plus tôt cette année.
Les OTA proposent dorénavant plus que de l’hébergement, avec la mise en avant de locations de vacances, ou de forfaits incluant restaurations et attraits à destination. Mais le plus grand mouvement à observer sera celui des partenariats avec les destinations.
Plus tôt cette année, Tourisme Cantons-de-l’Est marquait un grand coup en annonçant que leur site de destination (DMO) serait dorénavant propulsé par l’engin de Booking.com.
Les DMOs transactionnels
Or saviez-vous que la ville de Rio de Janeiro le proposait déjà avec Booking (en marque blanche) et que New York City le faisait également en marque blanche, mais avec Travelocity? Coup de théâtre la semaine dernière, alors que l’Office de tourisme de New York annonçait une nouvelle entente de principe avec Booking, au même titre que ce qui se fait dans les Cantons de l’Est.
Quand on sait que plusieurs destinations se questionnent sur les investissements mis dans des technologies de réservation qui résultent peu, il est permis de penser que plusieurs autres risquent de suivre dans la foulée, que ce soit avec Booking, Expedia ou d’autres. Ces sites offrent un partage de la commission mais, plus important encore, une expérience utilisateur efficace permettant de convertir l’internaute au moment de sa recherche.
UNE BATAILLE PERDUE D’AVANCE
Fairbooking est donc une noble initiative et j’aimerais croire qu’on verra quelque chose de similaire naître au Québec et en Amérique, mais permettez que je doute de son efficacité à moyen et long terme. La nature humaine étant ce qu’elle est, les habitudes sont difficiles à changer, surtout lorsqu’on est satisfait des résultats.
On le voit avec des initiatives comme RoomKey qui peinent à décoller, malgré les investissements importants de grandes chaines américaines qui souhaitaient inciter la réservation en direct. D’un point de vue consommateur, Tripadvisor, Expedia ou Booking offrent une expérience satisfaisante, des bons prix et le concept du one-stop-shop qui permet de sauver du temps, tout en obtenant satisfaction dans la majorité des cas.
D’ailleurs, on sait que 60 millions de visiteurs uniques se rendent sur le site de Tripadvisor à chaque mois, mais saviez-vous qu’on compte près de 300 millions de visiteurs vers le site en provenance de sites extérieurs, notamment à travers Facebook?
Pour ceux qui pensent qu’on peut ne pas être sur Tripadvisor ou les autres OTA, détrompez-vous. Ou plutôt, allez lire cet article qui déboulonne le tout de manière assez explicite: Réservation d’hôtel : peut-on échapper aux agences en ligne ?
La distribution du voyage continue d’évoluer, comme on le voit avec les modifications annoncées à l’algorithme de recherche de Google, en marge de son 15e anniversaire la semaine dernière. Tout n’est pas perdu pour les hôteliers mais il importe plus que jamais de s’adapter pour être de la partie. Et de mettre une stratégie de marketing relationnel durable en place. Les choses bougent vite…
Si le sujet vous intéresse, et pour un point de vue différent, je vous recommande aussi : C’est par l’intérieur que nous périrons.
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