Marie Côté est une passionnée de la distribution touristique au Canada, ayant toujours oeuvré de près ou de loin à son rayonnement.
Fondatrice du réceptif Point de Vue (Point of View) Canada à la fin des années 80, son entreprise fusionnait par la suite avec un autre important réceptif de Toronto, Jonik Tours, en 1995. La fusion a résulté sur Jonview Canada, plus important réceptif à l’échelle du pays encore aujourd’hui, acheté par le groupe Transat en 2000.
En 2004, Marie quittait l’entreprise pour poursuivre le rêve de créer une solution technologique pouvant lier les hôteliers, petits et grands, et le réseau de distribution dans une perspective de forfaitisation dynamique. Elle prend alors la tête d’une firme reconnue en France mais en émergence au Québec: Softbooker Technologies.
À la barre de ReservIT
Aujourd’hui, sa solution technologique ReservIT met en relation plus de 700 établissements au Québec, 3200 au Canada avec les grands distributeurs que sont les IDS (Internet Distribution Systems). Elle équipe les sites web de plus de 200 établissements au Québec, son interface transactionnelle se connectant avec tous les systèmes. Cela inclus les logiciels de gestions d’hôtels (PMS), les grandes agences de voyages en ligne (online travel agencies, ou OTA) ainsi qu’avec les GDS (Global Distribution Systems) donnant accès aux 650,000 agences de voyages du monde entier qui s’y connectent via la plateforme Pegasus.
Discussion franche avec une experte des réseaux de distribution.
Quelle est ton appréciation sur l’évolution des réseaux de distribution au cours des dix dernières années en tourisme, particulièrement au niveau des grossistes et réceptifs?
“C’est drôle parce qu’on semble discuter de la problématique tarifaire beaucoup plus depuis quelques années mais dans les faits, on voyait ça venir depuis un bon bout. Quand j’étais encore chez Jonview, entre 2001 et 2004 on sentait souffler un vent de changement et une problématique qui s’amplifiait: les târifs hôteliers étaient parfois moins chers en ligne que ce que l’on avait publié en brochure.
C’était particulièrement le cas avec les grandes chaînes, qui ont plus d’inventaire à écouler. Faut comprendre que les tarifs publiés étaient confirmés plus d’un an d’avance, sur base confidentielle, afin de permettre aux tours opérateurs de construire leurs forfaits.
En fait, l’avènement d’internet et des réservations en ligne a entraîné le réseau vers une spirale sans issue. Les hôteliers se sont rapidement aperçus qu’il y avait une hausse intéressante des réservations en ligne, donc moins en provenance des tours opérateurs et des réseaux dits traditionnels.
La conséquence? Les T.O. ont donc réduit leurs pages dédiées à la destination où l’on vendait beaucoup à la carte. Le rôle des T.O. et, par le fait même du réceptif, s’est donc trouvé remis en question.”
Les grossistes et réceptifs sont-ils voués à l’extinction?
“Non, j’ai toujours cru au trade, et j’y crois encore. D’ailleurs, ça me fait toujours sourire quand j’entends dire que la commission de 20-25% donnée à un réceptif est demesurée alors qu’on ne dit rien, ou si peu, quand il est question d’Expedia et les autres OTA.
Les deux font partie de la chaîne de distribution et doivent se rémunérer. La vraie question est plutôt: est-ce que les intermédiaires apportent de la valeur ajoutée, de la nouvelle clientèle?
Pour survivre et obtenir du succès, les grossistes et réceptifs doivent d’une part prendre le virage technologique et entrer de plein pied dans l’ère du real-time, ce qui veut dire gérer de l’inventaire en temps réel. Pour offrir des hôtels à la carte, les intermédiaires doivent s’informatiser afin d’avoir accès à l’inventaire hôtelier au meilleur tarif disponible (BAR, ou best available rate, indice de la parité tarifaire), moins une commission négociée, similaire à celle d’une agence de voyage.
D’autre part. les réceptifs devront continuer de proposer des forfaits et ainsi se distinguer par une offre originale, clé-en-main pour le T.O. qui revend au réseau d’agences de voyages ou directement au consommateur.”
Le besoin de s’outiller avec une infrastructure informatique et transactionnelle n’est pas forcément à la portée de tous les intermédiaires de l’industrie. Est-ce vraiment nécessaire de prendre ce virage?
“Selon moi, ce n’est même plus un choix rendu en 2013. Dans certains marchés, le réseau d’agences de voyages résiste encore, mais c’est une tendance lourde à la baisse à l’échelle des principaux pays émetteurs en tourisme international depuis plusieurs années déjà. On voit donc de plus en plus de consommateurs passer en direct ou par l’entremise d’un grossiste spécialiste de la destination.
Le plus gros défi actuel pour les hôteliers est donc de gérer leur inventaire en temps réel avec tous les distributeurs. Pour y parvenir, l’hôtelier doit s’équiper d’une solution de réservation en ligne pouvant connecter ses distributeurs.
Quant aux réceptifs, ils doivent gérer leurs blocs de chambres de façon évolutive. Leurs tarifs négociés se vendant plus tôt dans la saison, ils devraient basculer par la suite vers le meilleur tarif disponible (BAR) à travers un accès direct aux inventaires des hôtels, comme le font Booking.com ou Expedia.
Pour ce faire, ils devront eux-mêmes avoir une plateforme IDS leur permettant d’accéder aux inventaires des hôtels, logés dans un CRS (central reservation system).”
Le modèle traditionnel ne tient donc plus vraiment…
“Le grossiste ou le réceptif devra dorénavant se comporter comme un IDS, au même titre que les Expedia, Priceline et Travelocity de ce monde. Ce faisant, il pourra continuer d’apporter de la valeur ajoutée aux intervenants du milieu par la forfaitisation dynamique, unique et originale, tout en continuant de pouvoir vendre des produits et chambres à la carte, lorsque requis.
Ce sera néanmoins sur la base du meilleur tarif disponible (BAR), peut-être moins payant, certes, mais respectueux de la parité tarifaire tant recherchée dans le milieu.
En d’autres mots, le réceptif devra oser et suivre les traces de l’hôtelier. Si l’hôtelier est capable de vendre aux réceptifs, à Expedia et aux consommateurs, le réceptif devrait être capable de vendre aux T.O. et aux consommateurs en direct.”
Il y donc de l’espoir…
“Absolument! D’ailleurs, plusieurs tirent très bien leur épingle du jeu. Je pense notamment à un de nos clients ici, au Québec, qui sait bien packager des forfaits exclusifs sur son site web, différents de ceux offerts via Booking.com, ou de ce qu’il propose aux réceptifs, se gardant ainsi la latitude de gérer son revenu en fonction de ses objectifs d’affaires.
L’hôtelier qui dépend trop des OTA se trouve à leur merci, tout comme le réceptif ou le grossiste qui persiste dans ses vieilles manières se trouvera en danger bien assez rapidement. Les temps changent, il faut savoir s’adapter. Et rapidement!”
On ne saurait mieux dire, en effet!
Cet article est originalement paru dans le bulletin Agent de Veille, l’infolettre trimestrielle des Agences Réceptives et Forfaitistes (ARF) du Québec.
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