Blogue de Frederic Gonzalo

Les canaux de distribution du voyage se multiplient

Quel avenir pour les OTA ?

Dans l’industrie touristique, et plus particulièrement au niveau de la distribution du voyage en ligne, la dernière décennie aura certainement été celle des agences de voyage en ligne, communément appelées OTA, ou online travel agencies. Pensez Expedia, Priceline, Booking.com, Hotels.com, Venere, Travelocity, Orbitz et plusieurs autres.

Les modèles se ressemblent mais s’affinent, et l’on voit poindre des nuances entre compétiteurs, sans parler de la fronde organisée de certains hôteliers qui en ont marre de payer des commissions jugées élevées pour chaque transaction effectuée sur ces plateformes de distribution. Tour d’horizon de la situation.

Un duopole de fait

Premier constat: on pense avoir un choix incroyable d’agences de voyages en ligne alors que dans les faits, on fait affaire principalement avec deux organisations qui bataillent ferme pour leur part de marché à l’échelle mondiale.

Dans le coin gauche, l’Américaine Groupe Expedia, avec sa marque éponyme ainsi qu’une pléthore de filiales: Hotels.com, Hotwire, Venere, Egencia, etc. Le Groupe Expedia a fait l’acquisition de Trivago en 2013 et depuis avril 2014, l’inventaire de Travelocity passe également par la plateforme d’Expedia.

L'écosystème de Priceline en évolution
L’écosystème de Priceline en évolution. Source: Evercore Group L.L.C. Research

Dans le coin droite, l’européenne Priceline, avec sa marque éponyme mais aussi sa filiale vedette Booking.com, et d’autres sites comme Agoda, RentalCars.com et depuis décembre 2012, Kayak. En 2014, plusieurs acquisitions étaient au menu dont OpenTable, HotelNinjas et Buuteeq, un système de gestion hôtelière. (Voir le diagrame ci-dessus)

Même si le modus operandi de ces deux géants n’est pas le même, Expedia optant traditionnellement pour un modèle marchand alors que Booking.com privilégie le modèle d’intermédiaire, les deux proposent des sites opaques (Hotwire vs. Priceline), les deux ont acquis des méta-moteurs (Trivago vs. Kayak) et les deux proposent des locations vacances (FlipKey vs. Villas.com).

Et alors que Expedia a longtemps été reconnu pour ses taux de commission élevés (25-30%), surtout en comparaison de Booking qui ne demandait que 12-15%, on a vu un rapprochement au cours des derniers 12-18 mois, rendant les deux compétiteurs quasiment au nez-à-nez.

La méta-recherche

Lorsqu’un internaute américain recherche un forfait voyage en ligne, on sait qu’il visitera en moyenne 38 sites internet avant de procéder à l’achat, selon les résultats d’une étude produite par Expedia Media Solutions en novembre 2013. Selon une mise à jour produite en septembre 2014 auprès d’internautes britanniques, on parle plutôt de 35 sites visités avant l’achat d’un forfait.

Dans ce contexte, on peut donc comprendre la popularité des engins de méta-recherche qui effectuent une recherche parmi toutes les OTA afin de vous dénicher le meilleur prix. Des exemples? Trivago, Kayak, mais aussi Hipmunk ou Skyscanner. Le plus connu demeure néanmoin TripAdvisor, qui a pris le virage de la méta-recherche au cours des deux dernières années.

TripAdvisor, site de commentaires... et de réservations!
TripAdvisor, site de commentaires… et de réservations!

Comme on le voit dans l’exemple ci-dessus, TripAdvisor propose les tarifs de divers OTA: Expedia, Booking, Priceline, Hotels.com, Venere, Travelocity  et deux autres sites. Des tarifs somme toute identiques, car venant essentiellement des deux même familles; Expedia et Priceline.

On respecte d’ailleurs la parité tarifaire, concept de plus en plus remis en question et contesté. En devenant membre de l’Espace Contact sur TripAdvisor, on voit qu’un établissement comme l’Hôtel et Suites Le Dauphin à Drummondville peut proposer une “offre spéciale” avec un 10% additionnel de rabais sur le prix de la chambre.

Et en optant pour du placement publicitaire avec TripConnect, on peut ainsi afficher les prix dans la même fenêtre que les OTA (plutôt qu’en haut, en retrait) et ainsi générer des ventes en direct, sans avoir à payer de commission à un intermédiaire. Une espèce de mini-révolution dont encore peu d’hôteliers profitent, malheureusement.

Pour l’instant, du moins, car TripAdvisor s’apprête à lancer une nouvelle offensive de réservation instantanée!

La réservation instantanée pour hôtels sur TripAdvisorEt Google ?

Enfin, on ne doit pas oublier le géant Google, qui demeure très actif sur le front touristique avec ses différentes fonctionnalités, de la recherche à la transaction en passant par l’assistance lors du voyage même, notamment avec l’application Google Now.

Depuis l’acquisition d’ITA en 2011, Google a depuis lancé et peaufiné ses engins de recherche Flight Search puis Hotel Finder, au point où aujourd’hui ces comparateurs peuvent même proposer des tarifs spéciaux, comme on commence à le voir à certains endroits.

Exemple d'offres spéciales sur Google Hotel Finder
Exemple d’offre spéciale sur Google Hotel Finder

Il en existe encore certains pour douter que Google veuille véritablement s’attaquer aux réservations touristiques, étant donné qu’il ferait alors compétition avec Priceline et Expedia, deux de ses plus grands investisseurs en dépenses publicitaires. Saviez-vous qu’en 2013 le groupe Priceline avait dépensé pour 1.8 milliards $, alors que le groupe Expedia en avait dépensé plus d’un milliard $ ?

Des sommes colossales qu’on doit évidemment prendre en considération. Ceci étant dit, le tourisme mobile pourrait changer la donne, en particulier avec l’avènement du paiement par téléphone intelligent, que ce soit via Google Wallet ou les nouvelles possibilités annoncées lors du lancement du nouveau iPhone 6 et le paiement par NFC (near-field communication).

La riposte hôtelière

C’est bien beau ce portrait, mais que font les hôteliers devant cet état de fait en constante évolution? Alors que les OTA semblaient des partenaires en or il y a quelques années à peine, de plus en plus d’hôteliers en ont marre de devoir payer une commission oscillant entre 15-30%, pour obtenir des réservations qu’ils auraient parfois pu ou dû avoir en direct.

Car voilà le nerf de la guerre: quand on obtient une nouvelle réservation en provenance d’Expedia ou Booking, tout le monde est heureux, en théorie. L’hôtelier remplit une chambre inoccupée avec un client qu’il n’aurait pas eu, le client découvre un hôtel qu’il n’aurait peut-être jamais réservé n’eût-été de l’OTA, et l’OTA se paie une commission au passage.

Mais lorsqu’un client passait auparavant par votre site d’hôtel (sans payer de commission) et qu’il opte dorénavant pour Hotels.com (où vous devez payer une commission) afin de bénéficier du programme de récompense, que faire?

Je vous invite à relire Les agences de voyages en ligne: ni amis, ni ennemis à ce sujet.

Distribution hôtelière en évolution.
Option de distribution pour hôtels indépendants. Source: Softbooker

Mais comme je l’ai souligné plus tôt, on voit poindre des alternatives pour les hôteliers indépendants. Si votre inventaire est disponible auprès d’un fournisseur comme ReservIT, Sabre, TravelClick ou WebHotelier, vos tarifs peuvent ainsi apparaitre dans les comparateurs grâce aux nouvelles initiatives dans l’Espace Contact de TripAdvisor, dans Google Hotel Finder ou encore en direct sur Trivago.

Car oui, contrairement aux autres OTA, Trivago permet d’afficher les tarifs disponibles directement sur votre site, du moment que vous avez créé votre profil dans le module Hotel Manager de la plateforme.

Enfin, il y a ces regroupements comme Fairbooking ou RoomKey qui incitent le consommateur à réserver en direct. Un effort louable, même si d’aucuns s’entendent pour dire que la clé du succès reste encore d’avoir des sites hôteliers performants et transactionnels, affichant les meilleurs tarifs garantis et ce, pour tous les types d’appareils (ordi, smartphone, tablette).

Le prochain champ de bataille: mobile

Malgré tous les efforts mis en place par les hôteliers, et les nouvelles possibilités au sein de TripAdvisor, Google ou des partenaires tels Trivago, il n’en demeure pas moins que les OTA dominent encore dans la distribution de voyages en ligne, surtout lorsqu’il est question de forfaits (deux composantes ou plus dans un même voyage).

Et là où leur domination ne fait aucun doute, c’est au niveau des ventes de dernière minute qui se font à partir d’un appareil mobile. Voyez d’ailleurs les résultats d’une étude publiée par PhoCusWright en septembre 2014 à cet effet:

Ventilation des réservations hôtelières sur le site mobile de l'hôtel vs site mobile OTA. Source: PhoCusWright
Ventilation des réservations hôtelières sur le site mobile de l’hôtel vs site mobile OTA. Source: PhoCusWright.

Quand on regarde la ventilation des recherches faites en ligne sur le site mobile de l’hôtel, comparativement aux sites mobiles d’OTA, on remarque à peine des variations au fil du temps. Comme on le voit dans le tableau ci-dessus, quand il est question de réservations, plus de 70% des réservations de dernière minute se font sur les sites mobiles d’OTA.

Oui mais bon, les réservations mobiles sont très rares, n’est-ce pas? Eh non! Aux États-Unis, on estime que 18% des réservations de voyages se feront via un appareil mobile en 2014, pour passer à 25% des réservations en 2015! Les OTA ont ainsi quelques longueurs d’avance, encore une fois, développant des applications dédiées aux tablettes numériques, ou procédant à une n-ième refonte de leur application mobile afin de mieux servir les mobinautes aux besoins changeants.

Le mot de la fin

Alors, quel futur pour les OTA compte tenu de ces éléments? Je maintiens encore que les agences de voyages en ligne ne sont ni amis, ni ennemis. Ils jouent tout simplement un rôle crucial dans la distribution des voyages, aidant notamment plusieurs aubergistes ou hôteliers indépendants à obtenir des ventes incrémentales importantes.

Leur force marketing, l’ergonomie de leur site web ou application mobile, sans parler des investissements publicitaires de masse, les rendent incontournables aujourd’hui pour le consommateur. On l’a bien vu avec le matraquage publicitaire de Trivago l’été dernier!

Évidemment, cela demande aux hôteliers de réagir et de se mettre à niveau afin de mieux répondre aux besoins et attentes des internautes. Une tâche qui n’est pas impossible, loin s’en faut.

Il sera enfin intéressant d’observer la consolidation qui semble se faire, particulièrement du côté de TripAdvisor qui a acquis Viator (tours et activités) et La Fourchette (restaurants), quand ce n’est Priceline qui intégre verticalement les systèmes de gestion et de distribution hôtelière, incluant OpenTable (restaurants).

Du côté d’Expedia, aucune acquisition majeure au cours des derniers mois, hormis l’assimilation de l’inventaire de Travelocity. Des grosses nouvelles d’ici la fin de l’année?

Les paris sont ouverts…

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