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Hébergement illégal: l’industrie touristique face à un dilemme

airbnbDepuis qu’on apprenait, en mars dernier, que Tourisme Québec se décidait enfin de pourchasser les locateurs illégaux, pas un jour ne passe sans qu’une voix ne s’élève pour réclamer une action encore plus rapide, plus concrète. Et avec le jugement récent de culpabilité d’un locateur ayant utilisé la plateforme populaire AirBnB dans l’État de New York, le débat est plus que jamais d’actualité. Afin de mieux juger la problématique, voyons voir l’état des lieux.

LA RÉVOLUTION P2P

Avant toute chose, il faut d’abord comprendre qu’un site comme AirBnB s’inscrit dans une mouvance populaire, une tendance lourde qui affecte plusieurs industries: le peer-to-peer (P2P). L’avènement des médias sociaux et des plateformes collaboratives vient accélerer et exarcerber un phénomène qui a toujours eu cours, soit de transiger en direct avec le prestataire de service, au détriment parfois des règles édictées ou des intermédiaires dans un secteur donné. Cette révolution est la plus flagrante au niveau de l’hébergement, avec de nouveaux sites apparaissant sur une base quasi-quotidienne. Mentionnons notamment:

  • AirBnB
  • Couchsurfing (on y trouve de tout, allant de dormir par terre ou le sofa jusqu’à un loft ou appart au complet)
  • Bedandfed (surtout au Royaume-Uni et en Irlande)
  • Campingmygarden (louez votre jardin comme micro-site de camping)
  • Ficalaemcasa (site brésilien à la AirBnB)
  • Homeexchange (vous ne payez pas, mais vous échangez plutôt votre maison contre celle d’un autre voyageur)
  • Housetrip (un des leaders émergents)
  • Homeaway (leader mondial des locations de vacances, mieux connu comme Abritel en France)
  • Onefinestay (surtout dans les grandes villets, comme Londres et New York)
  • VRBO (acronyme pour Vacation Rentals By Owners, fait partie de la famille HomeAway)
  • Tripping (site de méta-recherche parmi les grands sites: Wimdu, HomeAway, FlipKey, Roomarama, Bedycasa)

Le mouvement P2P n’est toutefois pas exclusif à l’hébergement et il se transpose tout aussi bien au monde du transport, surtout sur de courtes distances inter-cités. On peut même trouver de l’espace de stationnement à meilleur prix! On pense notamment à:

  • AmigoExpress (leader émergent du co-voiturage au Québec)
  • Allo-Stop (pionnier du co-voiturage au Québec)
  • Drivemycarrentals (louez votre voiture à quelqu’un, ou l’inverse. Site australien)
  • Getaround (site dédié à la région de San Francisco et de Portland, Oregon)
  • Parkatmyhouse (site britannique pour trouver du stationnement privé)
  • Parkingpanda (site de stationnement privé pour quelques villes américaines)
  • Relayrides (voir la vidéo ici-bas, en anglais)
  • Zimride (co-voiturage américain)

Et tout comme certaines destinations règlementent les tours de villes ou exigent une certification pour offrir des visites guidées, on retrouve aussi des options P2P qui viennent court-circuiter l’offre de services. Mentionnons:

  • Dogvacay (chenil pour chiens chez les gens)
  • GetYourGuide (plus de 1900 destinations avec services privés de guides)
  • Kitchensurfing (service de chef à domicile – NYC, Boston et Berlin)
  • Uniiverse (services et activités offerts par des particuliers)
  • Vayable (tours guidés et concierge dans plusieurs villes internationales)
  • Zilok (site de locations diverses: voitures, maisons, services, etc.)

Les grands joueurs de l’industrie musicale ont goûté à cette médecine au début des années 2000 avec la naissance de Napster et de ses nombreux émules. Après une guerre épique, que l’industrie a perdu malgré la fermeture de Napster, plus personne ne s’étonne aujourd’hui de payer 0.99$ par chanson sur iTunes ou encore de payer une mensualité pour un accès musical illimité sur Spotify, quand ce n’est un accès mobile via Songza ou Grooveshark. Ce phénomène affectant dorénavant l’industrie touristique, on la comprend de se braquer. Est-ce la meilleure solution face à cette lame de fond qui ne semble pas s’essouffler, au contraire?

Les arguments de l’industrie

Voyons tout d’abord les arguments mis de l’avant par les divers lobbys de l’industrie touristique qui ont récemment uni leur voix face à ce qui est considéré comme de l’hébergement illégal:

1. Évasion fiscale:

Il existe un principe généralement reconnu selon lequel lorsqu’il y a échange d’argent au cours d’une transaction, des taxes doivent être payées, et la rémunération devient un gain imposable. Or, hormis quelques sites où on ne retrouve pas d’échange monétaire (ex: HomeExchange), la plupart des sites sont soustraits à la perception de taxes obligatoires. Chaque locateur est responsable de déclarer ou non ses revenus, ce qui est d’ailleurs un des points les plus reprochés aux AirBnB de ce monde. Pour reprendre l’analogie de l’industrie musicale, le modèle a certainement changé, mais on recherche encore à préserver les droits d’auteurs et lorsqu’on achète sur iTunes, on paie les taxes applicables.

2. Manque à gagner marketing:

Lorsque vous séjournez à l’hôtel, dans un gîte ou tout établissement officiellement reconnu, vous paierez souvent une taxe additionnelle dont les revenus servent à faire la promotion d’une destination. Je repense à l’époque pas si lointaine où je travaillais dans la région de Charlevoix. En 2009-2010, on estimait à plus de 1,000 le nombre de chalets non déclarés et locations illégales dans la région, un chiffre qui a sûrement pris de l’ampleur avec le développement du Massif de Charlevoix. Or, l’association touristique régionale ne peut compter que sur les revenus d’une fraction de l’hébergement pour effectuer son marketing, étant donné qu’une bonne partie de cette offre opère sous le radar des autorités provinciales. Le comble, c’est que les locateurs illégaux bénéficient des efforts faits au niveau de l’image de marque d’une destination, justement propulsée par les investissements marketing auxquels ils ne contribuent pas.

3. Expérience inégale:

Un autre argument qui mérite réflexion est celui du manque de standards lorsqu’on transige directement avec des locateurs opérant en direct ou via des plateformes P2P. D’aucuns seront d’accord pour dire que le système de classification hôtelière n’est pas toujours fiable, que l’on parle d’étoiles, de soleils ou d’autres façons de classifier l’expérience d’hébergement. (Lire: Le classement hôtelier par étoiles: inutile ou mal compris?) Mais aussi incomplet que ce système puisse être, il repose néanmoins sur des critères et standards acceptés, vérifiés d’année en année par des inspecteurs du gouvernement. Les standards sont moins évidents quand on en vient à de la location d’appartements, de chambres, voire d’un divan chez l’habitant… D’ailleurs, qu’arrive-t-il en cas de vol ou de feu? Le propriétaire a-t-il une assurance pour couvrir de tels événements et si oui, est-ce sous un chapeau résidentiel ou commercial?

4. Compétition déloyale:

Ce dernier argument découle essentiellement du précédent. L’industrie hôtelière et les intervenants qui opèrent un hébergement touristique doivent se conformer à plusieurs règlements, payer pour des certifications et continuellement mettre à jour leur produit et service afin de rester conforme. Autre point majeur, on doit payer des taxes foncières selon le nombre de chambres offertes, et non en fonction du nombre de chambres louées.

Or, au Québec les taux d’occupation en hébergement à travers la province se situent près de 55%, et le tarif affiché n’a pas augmenté au cours de la dernière décennie, ou si peu, en raison de la conjoncture: 9-11, SRAS, crise économique, etc. Pendant ce temps, les taxes ont continué d’augmenter, venant de ce faire réduire la marge bénéficiaire par chambre vendue. Un problème que n’ont pas les locateurs illégaux, évidemment, puisqu’ils évitent de payer les taxes.

Les arguments des “illégaux”

De l’autre côté, voici les arguments qui reviennent le plus souvent du côté des utilisateurs d’AirBnB et autres plateformes P2P:

1. Intelligence des foules:

Face à l’argument quant à la classification hôtelière et aux standards des divers types d’hébergement, on vous répondra que grâce aux sites de commentaires, on en sait autant sinon plus au sujet des logements et des locateurs. Ayant récemment testé la plateforme AirBnB, j’ai justement pu constater à quel point on incite les voyageurs à donner leur opinion, avant, pendant et après la réservation et séjour. Un locateur qui propose des chambres ou maisons aux conditions douteuses sera rapidement mis au ban par les autres utilisateurs. De même, le locateur est invité à “qualifier” le voyageur, de sorte qu’une personne qui ne respecte pas les règles ou qui effectuerait des dommages serait également identifié comme tel.

AirBnB incite ses membres à donner des commentaires
AirBnB incite ses membres à rédiger des commentaires

2. Zones grises:

Ce que démontre le plus récent jugement contre un locateur d’AirBnB à New York est qu’il y a plusieurs zones grises, et que tout n’est pas forcément tout blanc ou tout noir dans ce dossier. Au Québec, la règlementation demande que toute personne souhaitant louer un logement pour une période de moins de 31 jours doit obtenir un permis au préalable, au coût de 250$. Lorsqu’on sous-loue une partie de son appartement, par exemple une chambre, mais que le propriétaire est sur place, certaines dispositions dans la loi new-yorkaise permettent de toucher un revenu de location de courte durée. Le problème surgit lorsque certains propriétaires de plusieurs unités de location passent en mode commercial, et l’on n’est plus dans le modèle de “dormir chez l’habitant” mais bien dans un système commercial parallèle et sophistiqué.

3. Variété de l’offre:

Pour plusieurs, les sites P2P ouvrent de nouvelles possibilités qu’on ne retrouve pas, ou si peu, dans l’offre traditionnelle actuelle. On pense notamment aux séjours pour de grandes familles, ou voyages multi-générationnels, particulièrement lorsqu’il s’agit de plus longs séjours. Une nuitée à l’hôtel, passe encore, mais lorsqu’on reste trois semaines à destination, le confort d’une maison ou d’un appartement pour soi est inégalé. On retrouve d’ailleurs une panoplie d’hébergement disponible sur ces sites: igloos, cabanes dans les arbres, apparts, lofts, etc.

4. Impact économique local:

Un autre point souvent mis de l’avant est le fait que les utilisateurs de sites comme AirBnB tendent à vouloir dépenser moins au niveau de l’hébergement afin de pouvoir dépenser plus dans l’économie locale: supermarché, café du coin, restaurants et attraits, activités de proximité, etc. Ce dernier point reste difficile à prouver, mais on sait toutefois que le marché de la location de vacances représentait plus de 85 milliards de dollars en 2012, uniquement sur l’Europe et les États-Unis!

On fait quoi maintenant ?

L’industrie touristique fait donc face à un véritable dilemme: accepter cette nouvelle réalité en adaptant les processus et la règlementation, ou bien se braquer en faisant respecter les règles actuelles et en pourchassant les locateurs illégaux. Existe-t-il d’autres avenues et quelles solutions sont envisageables afin de faire face à la musique? C’est le sujet de mon prochain billet: Hébergement illégal: on fait quoi maintenant?

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