Alors voilà, c’est officiel: le Québec entre en campagne électorale avec la tenue d’un scrutin général le 4 septembre prochain. Tant mieux, tellement la chose était convenue, ces élections étant devenues un secret de Polichinelle.
Sachez que je n’ai aucune intention de discourir sur les vertus d’un parti ou d’un autre, mon propos d’aujourd’hui étant plutôt lié à mon domaine d’expertise, soit l’analyse stratégique d’une présence de marque sur les médias sociaux. Ou, dans le cas des partis politiques et politiciens québécois, l’absence apparente d’une stratégie digne de ce nom.
LE PORTRAIT DES PARTIS POLITIQUES SUR FACEBOOK ET TWITTER
Il y a quelques semaines, j’ai souri en lisant ce titre dans les médias: “Option nationale misera sur les réseaux sociaux aux prochaines élections“. Fort bien, me suis-je dit, il était temps! Après tout, nos voisins du Sud ont déployé une approche fort novatrice pour aller recueillir des fonds, lever un financement sans précédent et faire sortir le vote des jeunes pour la campagne présidentielle de Barack Obama, misant notamment sur une présence dynamique sur Facebook et Twitter.
Je rappelle que ceci a eu lieu… il y a quatre ans, en 2008! D’ailleurs, encore aujourd’hui, Obama est le seul politicien à figurer dans le top 100 des comptes Twitter les plus suivis au monde, avec près de 18 millions d’abonnés (je fais abstraction du Dalai Lama, au 95e rang avec ses 4.8 millions d’abonnés).
Portrait de la situation
Qu’en est-il, donc, de la présence des partis officiels au Québec sur Facebook et Twitter? Voici un tableau qui résume la situation, en date du 28 juillet 2012, suivi d’une brève analyse pour chacun des partis.
Le plus gros problème actuel est dans l’utilisation unidirectionnelle que font les partis, les chefs et les candidats des médias sociaux. On ne semble pas avoir compris qu’il s’agit d’un lieu d’échange et de conversations, et non pas simplement un “canal de plus” pour diffuser des communiqués de presse et messages politiques aseptisés.
PARTI LIBÉRAL DU QUÉBEC (PLQ)
Au 28 juillet, la page Facebook du PLQ comptait 4,971 fans, avec 541 personnes qui en parlaient, pour un taux d’engagement de près de 11%, ce qui est correct, sans plus – les grandes marques présentes sur Facebook obtiennent entre 2-3% de taux d’engagement, mais on s’attendrait à mieux compte tenu du contexte pré-électoral. Et moins de 5,000 fans pour un parti au pouvoir depuis 2003?
Là aussi, on s’attendrait à mieux, pour rester poli. On remarque d’ailleurs que le niveau d’activité est dû aux rumeurs d’élections et annonces des deux dernières semaines, comme en font foi les statistiques de leur page Facebook:
Non seulement le taux d’engagement a-t-il augmenté brusquement depuis deux semaines, on remarque aussi une augmentation proportionnelle de gens qui “aiment” la page du PLQ. Chose surprenante: ce sont les 18-24 ans qui sont le groupe d’âge le plus populaire.
Du côté de Twitter, on sent un effort louable, même si ça demeure très conventionnel. En date du 28 juillet, on comptait 5,678 abonnés et le PLQ suivaient 5,012 personnes, démontrant une approche de réciprocité intéressante. Les tweets et retweets sont à saveur électorale: des annonces de candidatures, des dévoilements, des chiffres… mais pas de véritable discussion ou échange dans ce que j’ai pu entrevoir.
PARTI QUÉBÉCOIS (PQ)
Il est intéressant de voir comment est gérée la page Facebook du Parti Québécois, surtout après avoir analysé celle du PLQ. Tout d’abord, on y retrouvait 13,467 fans en date du 28 juillet, pour 2,550 personnes qui “en parlaient”, soit un taux d’engagement de 19%.
On note également un ton moins formel, avec notamment un mot pour souhaiter de bons Jeux aux athlètes québécois, ou encore ce quiz du vendredi, où l’on retrouve une photo d’époque d’une équipe sportive féminine, et la question: “Où est Pauline Marois?”. De l’humour, donc, et pas uniquement des annonces ou du propos politique. Rafraichissant.
Constat similaire avec la page Twitter du PQ, qui est gérée sur une approche beaucoup moins formelle que celle du PLQ. Tout d’abord, on remarque les réponses directes données à certains individus et le ton amical.
Aussi, une bonne pratique est de personnaliser les tweets, et on remarque les initiales, qui réfèrent aux noms complets des administrateurs du compte, qu’on retrouve dans l’espace gauche de la page (ces tweets signés ^JD sont donc de Jérémy Drivet, et on retrouve son compte twitter, soit @jeremydrivet). Seul bémol au portrait: on compte seulement 1,573 abonnements contre plus de 11,746 abonnés, comme quoi il n’y a pas réciprocité à ce niveau.
COALITION AVENIR QUÉBEC (CAQ)
Un peu à la manière des Libéraux, la page Facebook se décline en une suite de publications et d’annonces, mais on retrouve très peu de véritable discussion. Au 28 juillet, on retrouvait 4,099 fans de la page mais uniquement 141 personnes qui en parlaient, pour un taux d’engagement de 3%, le plus faible parmi tous les partis dans la course électorale.
On remarque d’ailleurs que le summum d’activité sur la page avait lieu en novembre 2011, alors que le parti devenait officiel et que tous les espoirs étaient permis. Depuis, on remarque une baisse constante dans le niveau d’engagement, à tout le moins sur Facebook.
Du côté de Twitter, le compte officiel @coalitionavenir compte tout juste un peu moins de 7,000 abonnés, contre 1,085 abonnements. Ici aussi, c’est le modèle traditionnel qui prévaut, soit celui du porte-voix: on annonce, on diffuse des communiqués, mais il n’y a pas de véritable discussion ou échange selon les tweets repérés au cours de la dernière semaine.
QUÉBEC SOLIDAIRE
Le parti à deux chefs tire relativement bien son épingle du jeu avec près de 8,413 fans sur sa page Facebook et un taux d’engagement de plus de 13%, en date du 28 juillet. La page est tenue à jour par deux personnes, David Dubois et Anne-Marie Provost, et le ton y est à l’image du parti: on provoque, on questionne… ce qui occasionne des débats et prises de position qui ne sont pas sans intérêt.
Du côté de Twitter, là aussi on applique les bonnes pratiques d’utilisation. Le compte est tenu par Anne-Marie Provost – c’est clairement indiqué dans la bio du compte – et on prend le temps d’interagir avec les gens actifs sur Twitter, par des réponses personalisées. On comptait d’ailleurs 13,251 abonnés au compte @QuebecSolidaire en date du 28 juillet, ce qui en fait le parti politique québécois le plus populaire sur Twitter!
OPTION NATIONALE
Le plus jeune des partis à entrer dans la course est celui mené par Jean-Martin Aussant. Un parti qui existe depuis à peine sept mois se trouve-t-il désavantagé en terme de notoriété? Au niveau du grand public, peut-être, mais pas forcément sur les réseaux sociaux.
Tout d’abord, notons qu’avec 9,167 fans au 28 juillet, Option nationale en comptait presque le double du PLQ, et dans le peloton de tête avec les autres partis. Mais sa grande caractéristique unique est le taux d’engagement, qui dépassaient les 43% avec près de 4,000 personnes qui “en parlaient” au 28 juillet.
Les fans de cette page sont donc actifs, ils commentent et partagent à leur audience respective, ce qui augmente la propension à faire circuler les messages politiques du partis.
Légère déception, par contre, du côté du compte Twitter @OptionNationale avec un honorable 4,128 abonnés. Les tweets sont surtout des annonces, même si on retrouve des réponses directes et quelques échanges. Il serait bien de savoir qui gère le compte, question de transparence. (message au PLQ: ceci s’applique à vous aussi!)
ET LES CHEFS, ALORS?
La présence des partis officiels sur Twitter est une chose, celle de ses candidats en est une autre. On a fait grand cas du recent faux-pas de François Legault, chef de la CAQ, sur Twitter (Lire ici). Je lui donne au moins le mérite d’y être présent et actif, mais surtout de gérer lui-même son compte.
L’erreur est humaine, et les gens s’attendent à un peu d’humanité de la part de leurs leaders, politiques ou non. Avec plus de 10,000 abonnés, il est d’ailleurs le chef le deuxième plus suivi à ce jour dans cette campagne, suivi de Jean-Martin Aussant et ses 8,246 abonnés. Ils sont néanmoins loin derrière Amir Khadir et ses 26,000 abonnés. Le co-chef de Québec Solidaire tweet lui-même, avec l’aide occasionnelle de deux personnes. Quant à Pauline Marois et Jean Charest, c’est le silence radio sur Twitter…
Quant à Facebook, on a aussi parlé de la rumeur comme quoi l’équipe de Pauline Marois aurait acheté des fans pour gonfler le compteur (Lire ici et ici). Avec 24,174 fans et surtout un taux d’engagement de plus de 12%, on remarque que sa page Facebook est plutôt bien gérée, un peu à la manière de la page du Parti Québécois.
C’est huilé au quart de tour, c’est efficace… mais c’est aussi drabe, en même temps. Ça manque de oomph, d’authenticité. On sent la plume du relationniste derrière le discours… Ceci étant dit, c’est encore pire sur la page de Jean Charest, avec ses 7,749 fans et seulement 6% de taux d’engagement. Très conventionnelle, comme page.
LA CAMPAGNE ÉLECTORALE SERA-T-ELLE VRAIMENT SOCIALE?
Pour avoir droit à une campagne véritablement sociale, on s’attendrait à voir une stratégie intégrée qui s’articule sur plusieurs médias sociaux et dans laquelle les partis officiels, leur chef et les candidats seraient partie prenante des échanges. En raison de l’instantanéité et de la rapidité de l’information qui y circule, Twitter s’avère un incontournable.
Mais comment les partis vont-ils monitorer le sentiment des discussions sur la blogosphère, pour déceler les points sensibles ou susceptibles de le devenir, outre les sujets saillants comme le dossier étudiant, la santé ou l’économie?
Le plus gros problème actuel est dans l’utilisation unidirectionnelle des médias sociaux que font les partis, les chefs et la plupart des candidats. On ne semble pas avoir compris qu’il s’agit d’un lieu d’échange et de conversations, et non pas simplement d’un “canal de plus” pour diffuser des communiqués de presse et messages politiques aseptisés. La prochaine campagne sera-t-elle donc sociale?
Une véritable campagne 2.0 ?
Je pense sincèrement que les Québécois y seront présents et actifs, comme l’a démontré le printemps érable et l’afflux de prises de positions sur les divers médias sociaux. Mais au vu et au su de la présence actuelle des acteurs politiques québécois, il est permis de douter que ceux-ci seront véritablement dans la mêlée pour y participer dans une perspective multidirectionelle, hormis quelques exceptions.
Nous verrons bien, il ne reste qu’un mois pour le découvrir… Bonne campagne électorale!
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