Je reviens tout juste de Barcelone où j’avais l’immense bonheur et privilège de participer à titre de conférencier à la 7e édition de « Responsible Tourism in Destination », un forum international réunissant près de 350 participants.
L’agenda, fort chargé, s’étalait d’ailleurs sur quatre jours :
- Journée académique, où divers intervenants ont partagé le fruit de leur plus récente recherche, avec de sujets aussi variés qu’intéressants liés au tourisme responsable
- Field trip à Torroella de Montgri-L’Estartit, une destination de villégiature qui a renoncé à un projet de développement, au tournant des années 80, qui aurait fait passer la population locale de 50,000 à 350,000 personnes. Le village compte aujourd’hui 55,000 habitants, une zone protégée de plongée sous-marine et… d’excellentes performances au niveau des revenus touristiques, malgré le développement massif qui n’a pas eu lieu!
- Deux journées de conférences et ateliers qui avaient été scindés selon cinq thématiques, et dont les réflexions ont d’ailleurs abouti sur la Déclaration de Barcelone, officiellement partagée le vendredi en fin de journée. (Détails des 5 thématiques)
Bref, une belle occasion de discuter d’enjeux qu’on occulte trop souvent dans l’effervescence de notre routine quotidienne.
QU’EST-CE QUE LE TOURISME RESPONSABLE?
Permettez tout d’abord un petit rappel, question de cadrer la définition du tourisme responsable, un terme que certains tendent à confondre avec le tourisme durable. En fait, quand il est question de développement durable, on touche habituellement aux trois piliers fondamentaux:
Social
Dans la plupart des projets de développements touristiques, des habitants sont interpellés par les changements à venir. Lorsqu’un méga-développement est prévu sur un bord de mer, quel impact peut-il y avoit pour les communautés de pêcheurs ou villageois?
Dans le projet du Massif de Charlevoix, par exemple, les habitants de Baie-Saint-Paul et de Petite-Rivière-St-François sont particulièrement interpellés par le développement: expansion immobilière, nouveau réseau d’aqueduc, traffic en croissance dans la région, etc.
Environnemental
Lors qu’il est question de tourisme durable, ou responsable, on ne voit souvent que l’aspect “vert”. La composante écologique est certes importante, mais elle n’est pas la seule. On doit assurer le respect de la flore et de la faune, surtout dans certains environnements fragiles où un trafic croissant de touristes peut avoir un impact négatif.
Pensons aux exemples du Macchu Pichu (Pérou), du Grand Canyon (États-Unis) ou encore de la Grande pyramide (Égypte) qui ont dû limiter l’accès aux visiteurs en raison d’impact négatif sur les structures naturelles des lieux.
Économique
Enfin, les résidents peuvent parfois résister aux changements provenant d’un développement, et celui-ci peut aussi avoir un impact négatif sur l’environnement naturel d’un lieu ou d’une région, mais il importe de considérer aussi la composante économique.
Dans certaines régions du monde, un nouvel investissement dans un projet récréotouristique peut parfois signifier la survie de la communauté et amener un essor économique, créateur d’emplois et de richesse pour l’ensemble du pays.
Le tourisme responsable repose ainsi sur ces trois piliers, en y ajoutant la notion d’imputabilité. Quel rôle doit jouer le touriste, le prestataire touristique et la destination? Quel rôle pour les instances gouvernementales?
On y ajoutera enfin des éléments éthique tels que la volonté d’impliquer les communautés locales dans la prise de décision, la recherche de compensation juste pour toutes les parties impliquées dans la prestation touristique, et la poursuite de rencontres authentiques entre citoyens locaux et touristes.
QUELQUES PISTES DE RÉFLEXION
Plutôt que de faire un résumé des discussions, tâche pratiquement impossible, permettez que je partage avec vous quelques pistes de réflexion qui ont découlé des diverses discussions pendant ces derniers jours.
Jusqu’où doit-on développer une ville d’un point de vue touristique?
Barcelone recevait 2 millions de touristes avant les Jeux Olympiques de 1992. Aujourd’hui? Plus de 10 millions! Et quand on regarde la croissance du marché des croisières, c’est tout aussi dramatique. Barcelone recevait 200,000 passagers en 1992.
Et 20 ans plus tard? Tenez-vous bien : 2.6 millions! Arrive un moment où l’on doit se poser la question s’il est temps de mettre le couvercle sur la marmite de l’expansion, chose qui ne sera pas forcément une sinécure…
Comment développer sur le long terme
L’Espagne est souvent mentionnée comme exemple de pays qui ne s’est jamais dotée d’une vision de développement à long terme, notamment au niveau des villes sur la côte, i.e. Costa del Sol, Costa Brava.
On pense à des villes comme Benidorm ou Lloret del Mar, qui voient les touristiques arriver par milliers en provenance d’Angleterre, de Russie ou d’Allemagne, à la recherche de soleil, de plage et de sexe, le fameux sea, sex and sun!
Mais certains se sont demandés: est-il mieux d’avoir une ville comme Benidorm, avec une forte densité d’hôtels, bars et restaurants, ou plutôt un développement qui s’étale sur des milliers de kilomètres comme on le voit ailleurs, notamment sur la Riviera Maya au Mexique? Entre deux maux, lequel privilégier?
Qu’est-ce qu’une expérience authentique?
Si quelqu’un vient vous visiter d’outre-mer à Montréal ou à Québec, et qu’il veut voir le « vrai » Montréal ou Québec, vous l’amèneriez où? À partir de quel moment se détache-t-on d’un lieu car il est rendu trop touristique?
Lors de la conférence, il fut abondamment question de La Rambla, cette mythique promenade dorénavant envahit par les hordes de touristes qui débarquent des bateaux de croisière – on parle de 40,000 par jour, en saison haute! Plusieurs Barcelonais ont cessé d’y aller, tout comme certains Parisiens ne voudront pas se déplacer du côté de la Tour Eiffel.
Un Montréalais fera-t-il donc visiter le Vieux-Montréal à son invité, et le Québécois optera-t-il pour l’incontournable Château Frontenac et la promenade Dufferin?
Existe-t-il un bon tourisme et un mauvais tourisme?
Et par extension, un bon touriste versus un mauvais touriste? En fait, un des constats qui se dégage des différentes conversations est qu’il est beaucoup plus facile de définir le tourisme irresponsable que le tourisme responsable.
Un touriste avec sac à dos, qui dort à l’auberge de jeunesse et ne consomme que très peu dans les attraits touristiques est-il moins valable que celui qui dort dans un cinq étoiles et consomme les bons restaurants de la ville? Un participant rappelait d’ailleurs que le président américain avait déjà fait un voyage à Barcelone il y a plusieurs années, sac au dos…
L’industrie des croisières
On sait notamment que l’industrie des croisières est souvent pointée du doigt pour son empreinte écologique et sa gestion déficiente au niveau des déchets, sans parler des conditions salariales sous les normes internationales.
Mais il est trop facile de pointer du doigt, car il se trouve de nombreux consommateurs pour acheter les prestations sans questionner l’origine des souvenirs qu’on peut acheter à bord des bateaux, ni le coût des excursions une fois rendu dans un port d’escale.
Attention au greenwashing
Les grandes chaines hôtelières font-elles du greenwashing quand elles nous demandent de ne pas remplacer les serviettes de la salle de bain? Est-ce que le geste s’inscrit dans une politique intégrée de développement durable, avec des indicateurs de performance mesurés sur une base régulière, et des rapports disponibles sur le site web corporatif de la marque?
L’essence d’un endroit
La dernière piste de réflexion a trait à ce que les anglos appellent le « sense of place », ce qui fait l’essence d’un lieu. Doit-on préserver à tout prix l’essence d’un endroit, sa langue, ses rites et son patrimoine, ou n’est-il pas normal que les choses évoluent avec le temps, changeant la donne au passage?
On faisait évidemment écho aux changements dramatiques dans le tissu social de quartiers comme celui de la Rambla ou de la Barcelonetta, mais on peut penser à des exemples près de chez soi. À Montréal, le plateau d’aujourd’hui est très différent de ce qu’il était il y a 20 ans, tout comme Griffintown, le Quartier des Spectacles ou encore Hochelaga-Maisonneuve. À Québec, on n’a qu’à penser au quartier St-Roch.
Le changement n’a pas à devenir synonyme de conséquences négatives, assumant néanmoins qu’il ait fait l’objet de discussions préalables et d’une forme de consensus auprès des membres de la communauté qui l’habitent.
Vous en conviendrez, plusieurs de ces considérations dépassent le simple cadre du développement touristique. Et voilà, justement, où réside le défi du tourisme responsable. On doit voir à développer les structures et son environnement d’abord pour les citoyens d’une communauté. Le tourisme suivra dans la foulée, en toute logique. Et non l’inverse.
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