La semaine dernière, je participais comme conférencier à la première édition du Printemps des Réseaux Sociaux à Québec, durant laquelle 15 conférenciers ont abordé 20 sujets traitant de la nouvelle réalité des médias sociaux et leur impact dans notre vie personnelle et professionnelle. (Pour visionner les contenus de conférences, dont la mienne intitulée “Twitter, vanité de célébrités ou véritable outil pour les marques?“)
L’événement de deux jours se terminait d’ailleurs par un panel d’experts durant lequel nous avons discuté, entre autres choses, de retour sur l’investissement et du calcul qui doit inclure tout le volet de gestion de l’image et de la réputation. Bâtir la réputation d’une entreprise prend des années, des efforts soutenus et de la constance dans l’exécution des processus d’affaires, mais on sait que cette réputation peut s’effondrer rapidement lorsqu’un incident survient ou que l’entreprise effectue une bourde.
Comble d’ironie, à peine quelques jours plus tard arrive un cas typique de crise amplifiée sur les médias sociaux, mais cette fois ici-même au Québec: le cas d’Industries Lassonde, ses jus Oasis et sa bataille juridique contre une petite entreprise familiale qui fabrique et commercialise le savon Olivia’s Oasis.
David contre Goliath
Résumons les faits: la compagnie québécoise Industries Lassonde jouit d’une bonne réputation et de capital de sympathie du fait qu’elle est présente depuis plusieurs décennies avec sa commercialisation de produits connus de tous les Québécois comme les jus Rougemont et Oasis, pour ne nommer que ceux-là.
Dans un article paru sur cyberpresse.ca on apprenait que Lassonde tient également à faire respecter la marque de commerce Oasis, entreprenant des recours légaux lorsqu’elle juge cela nécessaire. Pourtant, on apprenait également dans ce même article que le mot “oasis” est utilisé dans près de 67 marques de commerce au Canada, dont 40 au Québec seulement.
Deborah Kutzman est une jeune entrepreneure qui se lance dans la fabrication de savons et décide d’en commercialiser un rappelant le nom de sa fille, Olivia, tout en y greffant le mot “oasis” car cela y donnerait une connotation intéressante, “Olivia’s Oasis”, joli pour des savon à base d’huiles d’olives, toujours selon cyberpresse.ca. En 2005, Mme Kutzman reçoit une mise en demeure de Lassonde à ce sujet, et s’ensuit alors une bataille juridique qui aura atteint son plus récent développement vendredi dernier.
Ainsi, même si en 2009 Mme Kutzman remportait sa cause au niveau de l’usage de la marque de commerce, le jugement de la semaine dernière lui a fait perdre les 125,000$ qu’elle réclamait pour rembourser les frais juridiques de cette saga qui traine depuis plus de sept ans. C’est à ce moment que l’histoire est sortie au grand jour via le journal La Presse et que les médias sociaux ont pris le relais… (Voir l’article complet ici)
Quand les médias sociaux s’emballent
Qu’un grand média traite d’un sujet comme celui-ci n’a rien d’étonnant, c’est du bonbon. On y voit le classique “petit” qui s’en fait imposer par un gros joueur pensant étouffer et gagner la cause par l’entremise d’une batterie d’avocats qui feront trainer en longueur et en frais juridiques sans cesse croîssants. Pensons notamment au cas de Claude Robinson contre Cinar.
La différence dans le cas présent, entre Lassonde et les savons Olivia’s Oasis, c’est que l’opinion publique a clairement pris position et que des jus peuvent faire l’objet de boycott ou de protestations. Les commentaires se sont alors mis à fuser, des personnalités publiques ont pris position (comme Guy A. Lepage, animateur et personnalité connue qui compte plus de 100,000 abonnés sur son fil Twitter), la nouvelle s’est propagée et est devenue virale plus rapidement qu’un lapin ne pond des cocos!
Le week-end de Pâques 2012 passera ainsi à l’histoire pour avoir mis de l’avant un premier cas d’entreprise québécoise qui aura eu à faire face à une crise de relations publiques ratées sur les médias sociaux…
Une bonne façon de s’en convaincre est d’aller voir sur la page Facebook de l’entreprise Lassonde, qui compte tout près de 34,000 fans. En l’espace de deux jours, elle a été prise d’assaut par plus de 500 commentaires, pour la plupart négatifs, voire même aggressifs. Sur Twitter, le hashtag #Oasis a été celui qui obtenait la plus forte mention dans la région de Montréal et au Québec pendant une partie de la journée du samedi 7 avril.
Les leçons à tirer
Que doit-on retenir d’une telle situation et qu’aurait pu faire Lassonde afin de pallier la situation? Voici les trois éléments qui ont manqué et qui auraient contribué à un dénouement plus heureux et efficace:
1. Mea Culpa, rapide et sincère
À l’ère des communications 2.0., nous sommes dorénavant dans le “real-time” marketing et les communications doivent être adaptées à des situations de crise en temps réel. On n’a plus le temps d’attendre le retour du long week-end, pour émettre un communiqué de presse… Le département des communications et RP de Lassonde semblait l’avoir compris et ils ont répondu rapidement, mais…
…plutôt que de s’excuser, ils ont mis de l’huile sur le feu en renforçant leur position dans le dossier. Le message ci-haut est apparu durant la journée du samedi 7 avril, alimentant la tourmente. Ce n’est qu’au courant de la journée du dimanche 8 avril que la compagnie a pris acte de l’ampleur de la crise de RP qu’elle subissait pour enfin décider de compenser la demanderesse et diffuser la nouvelle sur sa page Facebook.
La nouvelle a d’ailleurs été relayée sur cyberpresse.ca et sur la plupart des médias traditionnels et numériques par la suite. Pour plusieurs consommateurs, néanmoins, c’était trop peu, trop tard…
2. Gestion des commentaires
Sur la page Facebook des jus Oasis, j’ai beau chercher mais je ne retrouve aucun commentaire qui ait été répondu par le gestionnaire de page. Évidemment, nous sommes face à un cas extrême qui se déroule un weekend, férié de surcroit. N’empêche…
On s’attendrait à un minimum d’interaction et de conversation, surtout pour les commentaires qui ne sont pas liés au dossier en cours. Certaines attaques s’adressaient aux processus d’affaires de Lassonde, i.e. “vous allez chercher vos pommes en Turquie ou en Chine”. J’imagine que le mot d’ordre était de laisser passer la vague… qui n’a jamais cessé de croître jusqu’à la résolution du conflit, dimanche fin de journée…
3. Mise en place d’un système de gestion de crise sur les médias sociaux
Les deux points mentionnés précédemment tomberaient sous le sens de la logique si l’entreprise s’était doté au préalable d’une politique de réponse et d’un système de gestion de crise sur les médias sociaux. Il s’agit essentiellement d’identifier les différents types de scénarios et de messages auxquels l’entreprise se doit de répondre, avec des niveaux de sévérité identifiés.
Par exemple, comment réagirait-on si quelqu’un publiait un message, photos à l’appui, d’un empoisonnement ou d’un doigt coupé trouvé dans un jus Oasis? Pour les différents niveaux de sévérité de situations auxquelles une entreprise peut être confrontée, en combien de temps devrait-on répondre? Qui doit être joint à l’interne selon le niveau de gravité, le VP Affaires Publiques, le PDG? Quand devrait-on envisager la mise sur pied d’une ‘cellule de crise’ pour gérer la situation? Ou est-ce une situation normale qui tombe sous l’imputabilité des affaires publiques et communications externes?
La mise en place d’un système de gestion de crise sur les médias sociaux est le genre de truc qu’on priorise rarement, se disant à tort que ça peut toujours attendre. Mais comme l’a réalisé Lassonde, une victoire légale de 125,000$ peut rapidement devenir un fiasco de relations publiques 2.0 en coûts pour l’image publique de l’entreprise…
MISE À JOUR
Le président directeur général d’Industries Lassonde, Jean Gattuso, a finalement répondu sur la page Facebook des jus Oasis en début d’après-midi, le lundi 9 avril. Il a par la suite fait la tournée des médias, télévision et radio, pour expliquer la position de l’entreprise. La lettre est bien rédigée, mais on sent encore la justification. Quant aux commentaires négatifs, tant sur Facebook que sur Twitter, ça se poursuit… Le message semble difficile à faire passer…
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