Blogue de Frederic Gonzalo

Tripadvisor TripBarometer Mars 2013

Le marketing de destination, un modèle à réinventer

Dans l’industrie touristique, un des rouages importants du marketing passe par le rôle joué par les organismes de gestion de la destination (OGD), auxquels on réfère parfois par leur acronyme anglais DMO, ou Destination Management Organization. Traditionnellement, leur rôle était particulièrement important en amont de la décision d’achat liée au voyage, ainsi qu’une fois rendu sur place à destination.

D’une part, des organismes comme la Commission canadienne du tourisme (CCT) et Tourisme Québec positionnent le pays et une province respectivement, surtout auprès de la clientèle internationale: américains, européens, asiatiques, etc. À ce niveau, nous sommes en compétition contre les autres destinations, de l’Australie au Mexique en passant par la France ou la Turquie. Quand ce ne sont les autres provinces canadiennes et régions au Québec.

Un tourisme essentiellement local

Mais comme 91% des touristes qui séjournent dans la Belle Province sont en fait… des Québécois, on ne s’étonne pas qu’il y ait une multitude (trop?) de joueurs, comme les 22 associations touristiques régionales (Tourisme Montréal, Tourisme Laval, Office de Tourisme de Québec, etc.), les associations sectorielles (golf, ski, spas, événements, etc.), les centres locaux de développement (CLD), sans parler de municipalités, régions ou sous-régions qui allouent des ressources pour faire la promotion de destination auprès de la clientèle domestique.

On parle en fait de 1831 entités touchant au tourisme, rien qu’au Québec!

D’autre part, ces organismes gèrent aussi les réseaux de bureaux d’information touristique, ces points d’ancrage qui permettent de mieux naviguer une fois rendu à destination, pour y découvrir des endrois où coucher, des choses à faire ou à voir et des établissement où boire et manger.

Enfin, le DMO joue un rôle de leadership pour une destination, unifiant les tactiques publicitaires, de relations de presse et de commercialisation, notamment auprès des intermédiaires de l’industrie, tels tours opérateurs et agents de voyages.

5 RAISONS DERRIÈRE CE MODÈLE BRISÉ

Or, le modèle actuel du DMO tel qu’on le connait est voué à disparaitre ou évoluer drastiquement au cours des mois et années à venir. Un constat alarmiste? Pas du tout. Voici cinq raisons qui motivent ce besoin de changer:

1. ÉCONOMIE COLLABORATIV

J’en faisais mention dans en juin dans Hébergement illégal: l’industrie touristique face à un dilemme ainsi que dans la suite (Hébergement illégal: on fait quoi maintenant?) où je proposais justement quelques pistes de solution, dont une posait la question du rôle que devront jouer les destinations face à ce phénomène.

Si on résume, l’économie collaborative propose des plateformes où les consommateurs peuvent transiger directement avec d’autres consommateurs, sans avoir à passer par les canaux traditionnels. On fait souvent référence à des sites qui offrent de l’hébergement alternatif comme AirBnB, Couchsurfing, HomeExchange pour ne nommer que ceux-là, mais c’est l’ensemble de l’expérience touristique qui est touchée.

On peut trouver des modes de transport en commun, des endroits pour garer sa voiture ou sa tente chez l’habitant, manger à la bonne franquette (EatWith) chez quelqu’un moyennant quelques dollars (au lieu d’aller au restaurant) ou même faire un tour de ville guidé privé par quelqu’un qui n’a rien à voir avec l’office de tourisme local ou une institution officielle.

EatWith

Or, par le passé, le voyageur avait le réflexe d’aller visiter le bureau d’information touristique une fois rendu à destination, ou encore le concierge de l’hôtel pour savoir quoi faire ou encore où aller.

De nos jours, cette information est disponible à toute heure du jour, sur le web ou au bout des doigts via une application mobile sur son smartphone ou sa tablette numérique.

2. MÉDIAS SOCIAUX

Si le consommateur transige directement avec d’autres consommateurs, et que les commentaires laissés par ceux-ci agissent à titre de recommandations viables et crédibles, le DMO qui jouait ce rôle jusqu’à tout récemment perd ainsi de son lustre.

C’est à ce niveau qu’on voit l’impact des sites de commentaires laissés par des utilisateurs, de Tripadvisor à Yelp en passant par Google Reviews. Les recommandations de parents et amis ou collègues ont longtemps été le facteur d’influence le plus important dans le processus d’achat de voyages. Aujourd’hui, ce sont les sites de commentaires qui l’emportent!

On ira donc chercher l’information via une recherche sur Youtube ou Google, on partagera avec des amis sur Facebook ou avec des influenceurs sur Twitter, puis on partagera en temps réel lors de l’expérience de voyage via Foursquare, Instagram ou Facebook.

Sans oublier la validation des informations qui se fera via les sites comme Tripadvisor, où près de 60 millions de visiteurs viennent à chaque mois pour consulter les plus de 100 millions de commentaires!

Le DMO doit donc s’insérer dans cet écosystème pour y travailler la curation des contenus et appuyer ses membres à mieux naviguer dans cet univers changeant et à l’impact certain sur la e-réputation des établissements.

3. CONNEXION & MOBILITÉ

Le voyageur d’aujourd’hui préfère une connexion wifi au petit-déjeuner inclus dans son hôtel. Peut-on alors s’étonner du besoin et de l’attente qu’il aura face à une connexion wifi lors de séjour à destination en général?

C’est d’ailleurs une des prémisses sous-jacentes au concept de l’internet de séjour, où le voyageur veut de plus en plus obtenir les services sur l’appareil de son choix, à l’heure qui lui convient. On peut aussi poser la question suivante: une destination devrait-elle avoir un site web différent en fonction de l’étape dans le cycle du voyageur?

Par exemple, un site web plus complet lorsqu’on est en mode “recherche”: comment se rendre, devises et autres détails logistiques, passeport, info historique ou sur les quartiers recommandés, etc. Puis, un autre site, idéalement monté en mode mobile-first, pour le voyageur qui est à destination. Les besoins ne sont pas les mêmes, la navigation ne devrait pas l’être non plus…

D’ailleurs, à quand le virage mobile des destinations? Déjà, plus de 40% du traffic total des recherches en ligne liées au voyage proviennent d’un appareil mobile. Pourtant, trop de sites sont encore non adaptés pour lecture sur téléphone intelligent ou tablette.

On espère également que d’autres suivront l’exemple de Singapour avec sa proposition novatrice du Handy couvrant l’ensemble de son territoire en offrant au voyageur les fonctionnalités prisées, à un prix modique rendant l’expérience à destination d’autant plus intéressante.

4. DISTRIBUTION

À quand remonte la dernière fois que vous avez été sur le site d’une destination pour y réserver votre hébergement, vos activités et peut-être un transport ou resto dans la ville? La question tombe à point au Québec:

  • Tourisme Montréal a cessé d’offrir son module de forfaits en ligne au début 2013;
  • l’Office du Tourisme de Québec n’a jamais réussi à faire décoller son système de réservation en ligne au cours des trois dernières années, implanté à grands frais;
  • BonjourQuebec.com, le plateforme transactionnelle de la province, est en refonte majeure depuis bientôt deux ans. La question qui tue: en a-t-on encore besoin?
  • Tourisme Cantons de l’Est annonçait à l’été 2013 une entente avec Booking.com afin de proposer une offre plus versatile et plus dynamique à même son site web de destination, plutôt qu’une solution maison comme le font la plupart des autres destinations;
  • D’autres continuent de miser sur une plateforme transactionnelle, comme Tourisme Charlevoix notamment avec la solution ReservIT de Softbooker, misant sur la notoriété du site amiral de la destination. Le consommateur peut y réserver directement une chambre d’établissements partenaires.
  • Enfin, il existe d’autres solutions, i.e. Jack Rabbit, utilisée par des destinations comme Tourisme Nouveau Brunswick où le consommateur bascule vers le site de l’établissement hôtelier où doit avoir lieu la transaction.

Il y a différentes écoles de pensée face au rôle que devrait jouer le DMO dans le réseau de distribution, certains prônant un rôle actif et collaboratif, alors que d’autres n’y voit aucune utilité. La réalité est rarement dans les extrêmes, mais il faudra voir où se trouve le juste équilibre dans cette équation.

5. QUI EST LE CLIENT?

Dernier point et non le moindre: qui est le client du DMO? Pour comprendre le double-sens à cette question, il faut savoir que le mode de financement d’une office de tourisme repose sur le principe du membership.

Pour faire partie d’une campagne marketing de son association touristique, on doit d’abord et avant tout être membre. Pour un hôtel, cela se calcule notamment par une contribution monétaire selon le nombre de chambres. Des hôtels comme les Fairmont Chateau Frontenac, Le Manoir Richelieu ou Le Reine Elizabeth paient ainsi des cotisations dans la dizaine de milliers de dollars, par hôtel, par année… juste pour être membre!

Pour faire partie de la brochure de destination distribuée dans le bureau d’information touristique ou pour être répertorié sur le site web de la destination, un restaurateur, un attrait ou tout intervenant touristique doit aussi être membre, puis allonger d’autres dollars pour participer aux initiatives marketing.

L’effet pervers est que la destination se retrouve qu’à ne faire la promotion des membres, même si certains intervenants répondraient mieux à certaines questions de voyageurs en ligne, sur les médias sociaux ou même en personne.

Le membre ou le consommateur

En 2013, peut-on encore se limiter uniquement à représenter les membres payants dans nos communications marketing? Et quand une association touristique régionale met de l’avant une campagne estivale, le fait-elle en pensant à satisfaire et attirer une clientèle cible en particulier, ou plutôt en prenant compte des priorités dictées par certains membres qui veulent notamment “se faire voir” à la télé, parce que “ça rejoint plus de monde”?

En d’autres mots… le client est-il le voyageur ou le membre payant à qui on doit rendre des comptes?

C’est sans contredit sur ce dernier point que le modèle du DMO s’avère le plus à réinventer. Devrait-on envisager une taxe pour l’ensemble de l’industrie plutôt que simplement pour les hôteliers membres? Comment prendre compte de la nouvelle économie collaborative dans ce contexte?

Pour s’occuper des médias sociaux à l’échelle des différentes régions, devrions nous envisager le principe des animateurs numériques de territoires (ANT) comme cela se fait en France depuis quelques années maintenant? Un modèle à réinventer, je vous disais…

Si le sujet vous intéresse, je vous invite à lire ces deux billets de Louis Rome: La nécessité de donner un coup de gouvernail (Partie 1) et La nécessité de donner un coup de gouvernail (Partie 2)

Questions, commentaires, n’hésitez pas à partager dans la section ici-bas.

MAJ: J’ai clarifié le point 4 ci-haut mentionné par rapport aux différents modèles existants. Et on confirme également dans Le Soleil aujourd’hui la fin de la centrale de réservations actuelle à l’OTQ.

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