On dit qu’au cours des deux dernières années, en raison de la récente pandémie, le milieu touristique – et plus particulièrement le secteur hôtelier – aurait rattrapé l’équivalent de 10 années de retard dans son intégration des technologies. Une chose est sûre, ce retard était bien réel… et le demeure encore!
La plus récente étude McKinsey Global Institute Industry Digitization Index classe ainsi le secteur de l’hospitalité (hôtellerie et restauration) en pied de classement quand on le compare aux autres secteurs économiques. L’hospitalité performe ainsi mieux que seulement deux secteurs – la construction et le domaine de l’agriculture et de la chasse! Bref, pas de quoi pavoiser!
Les raisons inhérentes à ce retard
Le milieu hôtelier est assez conservateur et ancré dans des opérations liées à une gestion immobilière qui peut parfois s’avérer lourde. Dans ce contexte, on remarque depuis des années un sous-investissement chronique dans les nouvelles technologies et le marketing numérique. De plus, il semble y avoir un manque de sensibilisation sur les possibilités et avantages de prendre le virage numérique, souvent considérée comme une dépense sans valeur ajoutée, ou pas forcément liée aux opérations de l’entreprise.
Manque d’investissement dans les nouvelles technologies
Selon différentes études, les hôteliers dépensent habituellement en moyenne 2.5% de leur revenu net provenant des chambres sur des investissements technologiques. Or des données récemment publiées par la firme américaine STR montrent que ces investissements ont été à la baisse aux États-Unis durant les deux années de pandémie quand on les compare à 2019, une baisse de 50% en 2020 puis un retour à 70% du niveau pré-pandémie en 2021.
Cette même étude illustre également une baisse drastique dans les salaires et bénéfices envers le personnel qui s’occupe des TI (technologie et informatique) en hôtellerie, terminant l’année 2021 à 46% du niveau d’investissement qu’on retrouvait en 2019. On remarque d’ailleurs des tendances similaires du côté de l’Europe et de l’Asie, il s’agit ainsi d’une tendance globale.
Manque d’investissement dans le marketing numérique
Un triste constat similaire peut être fait au niveau des dépenses en marketing et ventes. Le rapport de STR montre que les dépenses marketing dans le milieu hôtelier américain ont atteint 50% du niveau pré-pandémique en 2020, avec une légère augmentation à 54% du niveau pré-pandémique en 2021.
Il en va de même avec les salaires au niveau des employés aux ventes et au marketing, dont la dépense à la fin 2021 ne représentait que 58% des niveaux observés en 2019. Ici encore, la situation semble très similaire, voire encore pire du côté de l’Europe et de l’Asie, comparativement à l’Amérique du Nord.
Et alors, direz-vous?
Avec l’incertitude qui persiste au moment de sortir de la pandémie, on peut douter que les hôteliers, restaurateurs et autres prestataires touristiques veuillent investir massivement dans leur virage numérique. Pourtant, autant les gouvernements provincial que fédéral ont récemment annoncé des programmes généreux, à coups de millions de dollars, pour accélérer la transformation numérique de entreprises. L’industrie touristique en profitera-t-elle?
Permettez-moi d’en douter. Pourquoi? C’est une question de mentalité, ou comme on dit en anglais, de “mind set “. Pour une majorité d’acteurs dans le domaine, le modèle d’affaire hôtelier repose essentiellement sur l’immobilier, et non sur la technologie. Dans le milieu de la restauration, on croit aussi qu’il s’agit foncièrement d’un emplacement (immobilier) et de la prestation culinaire qui est proposée comme expérience. Mais là aussi, la technologie peut et doit contribuer de manière plus marquée.
La technologie au service de l’expérience
Laissez-moi vous donner un exemple. Il y a quelques années, je faisais un mandat de consultation avec une entreprise hôtelière au Québec. Cette entreprise n’avait aucun problème à injecter des centaines de milliers de dollars dans la rénovation de chambres, enlever des tapis ou ajouter de nouveaux rideaux de douche. Mais une refonte du site web? Un nouveau channel manager pour gérer l’inventaire de chambres dans les systèmes de réservations externes? Oh, attendez, pas sûr que cet investissement en vaille la peine…
Ça, c’est l’exemple classique du mindset “immobilier” au détriment du volet technologique.
Mieux encore, cette anecdote toute récente. Ce weekend, j’ai soupé au nouveau District Gourmet, à Ste-Foy. Le concept est tendance, avec la possibilité de choisir parmi plusieurs restaurants mis en commun, dans un grand espace convivial. Un peu comme le Time Out Market à New York, ou le Central à Montréal. On fournit à chaque table un menu sur tablette, permettant de voir ce qui peut être commandé – par exemple une entrée portugaise, des plats principaux asiatiques et un dessert en provenance du resto français.
Sur la tablette, on pouvait sélectionner des items. Mais… il ne se passait rien après. La serveuse ou le serveur doit passer à chaque table pour prendre la commande. J’ai demandé à quoi cela servait alors d’avoir l’option d’un panier d’achat sur la tablette. “Oh, c’est juste pour que les gens se souviennent de ce qu’ils veulent commander”, me repondit la serveuse. Tout en ajoutant “vous savez, si ce n’était de moi, on irait avec le bon vieux papier et crayon”. Voilà, que dire de plus?
Une tablette non fonctionnelle
Bref, la tablette est bien jolie, mais elle ne sert pas à grand chose. On ne voit même pas d’images des plats qu’on voudrait peut-être commander. Ou les ingrédients. Ou l’histoire derrière la création d’un plat – allô le storytelling?
Le pire, c’est que la technologie existe déjà, permettant de commander de la tablette vers le restaurant de son choix. Le service aux tables peut bien sûr demeurer, mais en valeur ajoutée, par exemple pour répondre aux questions ou travailler en upsell avec la carte des vins.
Mon propos se résume surtout au volet marketing, car c’est le créneau de ce blogue. Mais la technologie et le virage numérique peuvent et doivent agir en renfort de l’expérience client, au niveau des opérations, de la prise de commande à la gestion d’inventaire en passant par le volet ressources humaines de l’entreprise.
C’est ce retard qui est illustré dans le tableau de McKinsey, au début de cet article. Alors, collègues du tourisme, on se relève les manches et on s’y met?
Je trouve la plus grande manifestation de ce retard généralisé est la dominance de quelques joueurs comme les OTA comme Expedia, Booking, Airbnb, etc. L’industrie a laissé la place à ces quasi-monopoles par manque de leadership numérique.
Tout à fait! Et quand on pense que l’émergence des OTA remonte au début des années 2000, on constate malheureusement que rien, ou si peu, a été fait au cours des deux dernières décennies pour rattraper ce retard.