Vous avez peut-être entendu parler de cette récente initiative lancée par l’Association hôtelière du Saguenay-Lac-St-Jean (AHSLSJ). Il est question d’inciter le consommateur québécois à réserver son hôtel en direct, plutôt que de passer par un intermédiaire.
« En plus d’encourager l’économie locale, les Québécois sont ainsi assurés d’obtenir le meilleur prix pour leur hébergement », selon les dires du président de l’AHSLSJ, Olivier Tremblay-Fortin. Un mantra que plusieurs de mes amis hôteliers se sont empressés de partager via Facebook, évidemment.
Or, est-ce vraiment le cas? Malheureusement, non. Ou plutôt, disons que certains nuances s’imposent. Voici donc cinq aspects à considérer.
Le mythe du meilleur prix
Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai contacté un hôtel au Québec où je souhaite aller avec mes garçons durant le mois d’août. J’ai ensuite comparé avec le tarif en ligne avec Expedia… qui me proposait exactement la même chambre à 20$ moins cher, par nuit. Une économie de 40$+tx pour deux nuits.
Une anomalie? J’aimerais vous dire que oui, mais ce n’est pas le cas. Il arrive assez souvent de voir des sites d’OTA (online travel agencies) comme Booking ou Expedia afficher un tarif plus bas que celui trouvé sur le site d’un hôtelier. Frustrant comme situation, pour l’hôtelier, j’en conviens.
Tenez, je viens de faire une recherche pour une nuit à Montréal, le 9 août prochain. Voici ce que me propose Google pour un hôtel au centre-ville dont je tairai le nom :
Je suis allé voir directement sur le site de l’hôtelier en question, et le prix le plus bas commence à 230$. Comment se fait-il que FindHotel me le propose à 216$ et TripAdvisor, à 204$ ?
Est-ce que le consommateur aura le réflexe de contacter l’hôtelier pour essayer d’avoir un aussi bon tarif, ou se négocier une valeur ajoutée? Non, et c’est d’ailleurs l’objectif clairement avoué de cette récente campagne par l’AHSLSJ.
Les sites web archaïques
Le deuxième aspect est plus important encore, selon moi. On veut bien contacter directement l’hôtelier mais… ce n’est pas toujours simple.
Pour reprendre mon premier exemple, l’hôtel que j’ai contacté affichait complet sur son site web, du moins selon les critères que j’avais entrés (1 adulte, trois enfants). Pourtant, je savais très bien qu’il y avait de la disponibilité – Expedia me disait qu’il restait sept chambres comme celles que je convoitais !!
Un problème de gestion d’inventaire, sans doute. J’ai tenté d’appeler à deux reprises, pour être mis en attente plus de 15 minutes à chaque fois. Bref, pas de chance de ce côté non plus.
C’est également le feedback que je reçois de mon entourage qui a cherché à réserver en ligne, au Québec, cet été. Plusieurs sites d’auberges, de gîtes ou hôtels en région ne sont toujours pas transactionnels, ou alors on doit remplir un formulaire et espérer une réponse dans les 24 à 48 heures. Et quand c’est transactionnel, l’expérience est souvent très aléatoire.
Il existe pourtant une solution facile pour contrer cette perception du “meilleur tarif” sur les sites d’OTA : indiquer une garantie du meilleur tarif sur votre propre site web!
Allez, je vous mets au défi : visitez le site web de 10 hôtels ou auberges, peu importe la région, au Québec, en ce moment. Combien affichent clairement une mention du meilleur tarif garanti sur leur site web, incitant ainsi à réserver en direct? Et cette garantie s’affiche-t-elle une fois que vous basculez dans l’engin de réservation?
C’est d’ailleurs une des raisons principales pourquoi les consommateurs vont préférer acheter sur Expedia ou Booking : leur site web est à la fine pointe, tant en version mobile que desktop! Et je ne parle même pas des milliards investis en publicité et améliorations à l’expérience utilisateur en ligne.
Et les agents de voyages, eux?
En fait, si la campagne de l’AHSLSJ avait été transparente, on aurait dit clairement « réservez en direct au lieu de passer par Expedia ou Booking », car tout le monde comprend que ce sont ces deux sites qui sont les véritables cibles du message.
Or, on fait une victime collatérale quand on dit tout simplement « réservez en direct » en impliquant au passage « ne réservez pas par un intermédiaire ». Car il existe des agents de voyages, basés au Québec et employant des Québécois, qui incitent à voyager dans la Belle Province. Ne serait-ce pas une manière d’encourager l’économie locale également? Pourquoi cette distinction?
Laissez-moi vous raconter une anecdote. Il y a deux semaines, un agent de voyages a réservé un séjour au Québec pour un groupe de 10 personnes, des clients fidèles qui réservent souvent avec ce conseiller – habituellement pour partir vers l’Europe ou les Caraïbes, dois-je préciser. Le conseiller fait son travail, suggère de l’hébergement original, des activités à faire dans la région québécoise en question.
L’hôtelier qui a reçu cette réservation a pris la décision mesquine de contacter le client directement pour lui suggérer d’annuler la réservation (annulant ainsi la commission de 10% à payer au conseiller voyages) pour plutôt réserver en direct, en lui offrant un petit extra une fois rendu à l’établissement.
Cette anecdote résume tout ce qui cloche dans la relation entre hôteliers et intermédiaires. Il s’agissait clairement d’un client que l’hôtelier n’aurait jamais eu de prime abord, car l’établissement avait été suggéré par le conseiller et était inconnu de ce client. Pensez-vous que ce conseiller voudra encore envoyer des clients à cet établissement?
By the way, ce conseiller fait partie d’un réseau, alors le mot s’est déjà passé à la vitesse de l’éclair. Et tout ça pour épargner une commission sur une vente? Belle manière de s’aliéner les réseaux de distribution pour le futur, en tout cas…
La complexité d’un long séjour
Si un couple pense venir séjourner un long weekend à Québec, that’s it, that’s all, j’avoue que l’argumentaire de réserver en direct tient plus la route. Les bénéfices sont d’ailleurs bien réels, incluant:
- Meilleur prix (assumant que vous avez une politique d’égaliser tout autre prix trouvé ailleurs)
- Heure de départ flexible
- Meilleur choix de chambres
- Annulation sans frais
- Valeur ajoutée: petit-déjeuner, gratuité ou rabais sur certains services
Mais pour plusieurs Québécois qui planifient des vacances cet été, il peut s’agir d’un séjour de 5, 7 ou 10 jours. Alors quoi, on devrait se farcir la recherche en ligne pour les différentes options d’hébergement dans chacune des quatre ou cinq villes qu’on compte visiter?
Réserver en direct est un acte sensé quand il s’agit d’un geste simple, sans complexité. Mais dès qu’on ajoute plusieurs éléments, le consommateur recherche une plateforme qui lui simplifie la vie. Une plateforme comme celles proposées par les Expedia, Booking, Trivago et autres TripAdvisor de ce monde.
Et pour ceux et celles qui souhaitent plutôt transiger avec un humain, on fera alors affaire avec un conseiller voyage. La valeur ajoutée d’un agent de voyages, en ligne ou réel, est bien dans cette valeur ajoutée quand un itinéraire tend à se complexifier. Ça fait sauver du temps!
Le programme Explore Québec sur la route
Dernier élément à mentionner, et non le moindre. La ministre Caroline Proulx annonçait en juin dernier les détails du programme Explore Québec sur la route, qui propose un rabais de 25% sur les forfaits mettant de l’avant au moins deux nuitées en hébergement et deux attraits.
Au moment du lancement, quelques 34 forfaits étaient proposés mais on en compte aujourd’hui plus de 250 à travers la province. Ainsi, si un consommateur souhaite aller à Québec et dans Charlevoix en combinant deux nuitées en hébergement et deux activités… il n’a qu’à contacter un conseiller voyage qui fera alors affaire avec un voyagiste comme Groupe Voyages Québec (GVQ), Tours Chanteclerc, Jonview, Misa Tours ou Global Tourisme, par exemple.
Exemple de forfait vendu dans le cadre de la campagne Explore Québec. Source: Forfait monté par MISA Tours, sur le site aladroute.ca
Donc, si je réserve deux nuitées à Québec et/ou deux nuitées dans Charlevoix à travers un forfait Explore Québec, je peux épargner 25% sur le tarif affiché. Est-ce que j’aurais ce même avantage en réservant en direct? Permettez-moi d’en douter. (En fait, la réponse est non)
En conclusion
Bref, je comprends très bien le raisonnement et la logique derrière un message comme « réserver en direct » pour les hôteliers, qui ne l’ont certainement pas facile dans le contexte actuel. Donner une commission pouvant aller jusqu’à 25% sur une réservation est franchement indécent, même si la moyenne oscille plutôt entre 15-18% sur Booking et Expedia. C’est vrai en temps normal, et on peut comprendre que c’est encore plus frustrant dans le contexte difficile actuel.
On pourrait en parler longtemps, mais la véritable question qui se pose est la suivante : auriez-vous obtenu ce client sans l’aide d’un intermédiaire? Si la réponse est non, il s’agit d’une vente incrémentale et le prix à payer est celui de la commission. Vous n’auriez pas eu ce client, cette vente, sans l’apport de l’intermédiaire. Comme disent les anglos, c’est le cost of doing business.
Si la réponse est oui, par contre, et que vous auriez pu obtenir ce client en direct… alors comment se fait-il que le client ne soit pas allé sur votre site web ou n’ait pas appelé votre ligne 1-800?
Quel est votre coût d’acquisition d’un client en direct?
Autre question corollaire à se poser : combien ça coûte, aller chercher un client en direct? Si vous avez fait refaire votre site web récemment, vous avez un ordre de grandeur des budgets nécessaires. Ça tourne dans les cinq chiffres, parfois plus.
Et on ne parle même pas des efforts en référencement (SEO), les campagnes de mots-clés (AdWords), la création et la publication de contenus sur vos plateformes numériques, incluant les médias sociaux, les envois d’infolettres, les promotions et commandites, etc.
Bref, ça coûte de l’argent et ça demande de l’effort, en temps et en ressources.
Obtenir une réservation en direct suppose d’avoir une présence numérique à la fine pointe, ce qui suppose également des investissements considérables qui ne sont pas toujours à la portée de tous. Nier cet aspect, c’est nier une réalité que j’observe encore sur une base quotidienne dans mes consultations avec des établissements d’hébergement à la grandeur de la province.
Pour vous dire à quel point les choses ont tellement peu évolué à ce niveau, je vous présentais plusieurs de ces mêmes idées et arguments ici-même sur ce blogue… en 2013 et 2014!
Voici quelques articles que je vous invite d’ailleurs à lire (ou relire) :
- Booking.com ni ami, ni ennemi
- Les agences de voyages en ligne, ni amis, ni ennemi (bis)
- Distribution hôtelière et OTA : enjeux et solutions
- Pourquoi faire affaire avec un agent de voyage
Tout ça pour vous dire de faire attention aux raccourcis et campagnes faciles à la « réservez en direct ». Si cela fait du sens pour les hôteliers, voire même une destination, il est loin d’être certain que cela soit le cas pour le consommateur et pour la chaîne de distribution du voyage qui joue un rôle crucial dans l’écosystème des ventes en tourisme.
J’apprécie cet article, objectif et clair.